Jean Scheurer fut un artiste d’exception. Engagé,
rigoureux, perfectionniste mais aussi rêveur, doté
d’un grand sens de l’humour et de la dérision, il
s’en est allé, nous livrant brusquement une œuvre
immense, désormais sans maître à bord.
Cette exposition s’inscrit en hommage à cet
artiste aux multiples talents qui,
dès la fin de ses études, après avoir parcouru le
monde, la Chine, Hong-Kong, les Etats-Unis,
s’emploie à bousculer l’art de sa ville, -
Lausanne -, en créant le groupe Impact.
Impressionné également par les constructivistes
allemands, hollandais et l’art concret suisse
notamment de Max Bill, Thomas Lohse ou Arthur
Honegger, il s’intéresse tout d’abord à la
sculpture sur plexiglas avant de s’orienter vers
la peinture et l’abstraction géométrique.
Au registre de la peinture, en particulier dès les
années 1990, c’est la ligne qui interpelle
l’artiste. Il la décline sur tous les tons. Il la
juxtapose dans une succession infinie, la répète
selon une cadence rapprochée ou plus espacée, crée
des rythmes, des phrasés musicaux. Vivement
colorées, les lignes chantent, dansent, attisent
l’œil qui s’anime, comme hypnotisé par des effets
inattendus. C’est tout l’art de l’artiste qui
emmène le regard du spectateur sur des chemins
changeants, car non seulement des aplats de
couleur alternent avec des lignes colorées, mais
certaines d’entre elles, légèrement obliques,
altèrent le rythme, tantôt l’accélère ou le
retient. C’est un jeu subtil auquel est soumis le
spectateur, entraîné au-delà du seul champ de la
toile.
Les canevas de Jean Scheurer créent en effet une
continuité, une musicalité parfois expertement
interrompue par des champs monochromes, - comme un
soupir -, puis l’élan reprend et s’empresse vers
d’autres volées de mesures.
Dans cet esprit, l’artiste livre avec la ligne une
sorte de corps à corps permanent, lui imposant sa
rigueur et la pertinence de sa vision. Cependant,
fluctuante, la ligne s’octroie ici et là quelques
libertés diagonales pour donner du caractère à
l’œuvre et lui conférer sa personnalité.
La ligne, infinie par définition, nous emporte
dans les contrées les plus lointaines de
l‘imaginaire. Et bien que son tracé affirmé dans
la verticalité ne dévie que rarement de cette
rigueur caractéristique de l‘artiste, l’œuvre
intrigue et interpelle justement par ces quelques
écarts qui troublent l’ordre des choses, créant à
la fois rythme, musicalité, tension, rigueur, mais
aussi ironie, poésie, lyrisme et jubilation
colorée. Un grand maître s’en est allé. Que son
œuvre vive !
Jean Scheurer, Lausanne 1942, Cully 2023. Après
des années d’études à l’Ecole cantonale des Beaux-
Arts de Lausanne et un périple de deux ans autour
du monde, il fonde avec des amis le groupe IMPACT
ainsi qu’une galerie du même nom. Professeur à
l’Ecole cantonale des Beaux-Arts de Sion jusqu’en
1985, il est également chargé de cours à l’EPFL
jusqu’en 2009. Membre de la Commission fédérale
des Beaux-Arts entre 1985 et 1992. Lauréat de
plusieurs prix, il reçoit notamment la Bourse
Manganel en 1967, un mandat pour la décoration de
la gare de l’aéroport de Genève-Cointrin en 1983
et le prix de la Fondation Leenards en 2011. On
fait également appel à ses compétences comme
expert dans divers jurys et commissions
artistiques. Depuis 1967 il réalise plus d’une
centaine d’expositions individuelles et de groupe,
en Suisse et à l’étranger, et ses œuvres sont
représentées dans de nombreuses collections
publiques et privées.
Légende de l’œuvre : Sans titre, 1998, acrylique
sur toile, 150 x 150 cm
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